Si la négociation sur le temps de travail, très encadrée à l'époque des lois Robien et Aubry, a apporté aux salariés certaines contreparties (RTT, emplois), la donne a changé avec la crise économique et l'impératif de compétitivité et flexibilité. Et si, aujourd'hui, un assouplissement du temps de travail- mais cette fois au service des salariés- pouvait à nouveau se négocier ?
Analyser une vingtaine d'accords sur le temps de travail, dans des entreprises de secteur et de taille différents, pour en tirer quelques enseignements : c'est l'exercice que vient de réaliser le groupe de conseil et d'expertise Alpha, et de son centre d'études et prospective (*). Antoine Rémond, l'auteur de l'étude, et Alain Petitjean, le directeur du centre, ont restitué mardi 23 janvier les grandes lignes de leur enquête devant le club Europe et sociétés, Réalités du dialogue social (RDS) à Paris (**).
Les accords étudiés, souvent récents (2016-2017), traitent de la problématique d'ensemble de l'organisation du temps de travail, et pas seulement des points particuliers comme, par exemple, le travail dominical. Sans surprise, la grille d'analyse utilisée par le groupe Alpha, et qui permet de cerner "l'intensité" des items présents dans les textes des accords au regard des objectifs affichés dans les préambules, fait apparaître un déséquilibre entre les mesures prises dans l'intérêt des entreprises (à commencer par une plus grande flexibilité collective du temps de travail et l'utilisation des heures supplémentaires) et celles pouvant s'apparenter à des contreparties offertes aux salariés (► voir les grilles d'analyse à la fin de notre article). "Les garanties d'emploi ne sont pas la principale compensation obtenue par les salariés dans ces accords", note Antoine Rémond qui souligne, inversement, des niveaux élevés de forfaits jours, 7 accords d'entreprise prévoyant d'aller jusqu'au maximum légal (218 jours).
Ce déséquilibre s'explique : il correspond à la période de crise économique, une phase historique durant laquelle les entreprises ont surtout cherché des mesures de flexibilité pour accroître ou retrouver leur compétitivité, cette phase succédant à la négociation sous contrainte, du temps des lois Robien et Aubry, textes qui obligeaient les entreprises à concéder RTT et créations d'emplois en échange de la flexibilité, analyse Alain Petitjean (voir son interview vidéo ci-dessus).
Du reste, observe ce dernier, le contenu de ces accords montre bien l'inanité du débat, qui revient régulièrement sur le plan médiatique et politique, visant à faire passer la durée légale comme une contrainte insupportable alors que les entreprises disposent de tous les outils pour adapter leur organisation à leur spécificité : "Si, depuis une vingtaine d'années, une entreprise n'a pas pu conclure un accord de travail correspondant à ses spécificités, ça nous apprendra beaucoup plus sur les problèmes de cette entreprise, de sa direction ou de ses RH, que d'une éventuelle trop forte rigidité du code du travail", glisse le responsable du groupe Alpha.
Aborderions-nous aujourd'hui une nouvelle phase dans les négociations touchant au temps de travail ? C'est l'interprétation, qui paraîtra sans doute très optimiste aux yeux de nombreux délégués syndicaux, que proposent les deux hommes. Ils soulignent la nécessité pour les entreprises -a fortiori pour celles confrontées à des difficultés de recrutement- de tenir compte des demandes sociales et sociétales. "Nous sommes plutôt dans une nouvelle période de ré-enrichissement des négociations, avec des préoccupations nouvelles qui montent en puissance comme l'encadrement de la charge de travail des cadres, les mesures touchant à la déconnexion, ou encore les systèmes de compte épargne temps visant à donner plus de souplesse au salarié dans la gestion de son temps", estime Antoine Rémond. Serait aussi en germe une tendance à la prise en compte de temps de travail atypique ainsi qu'à la décentralisation de la gestion de l'accord.
Autrement dit, ce serait aux entreprises d'offrir à leur tour de la souplesse à leurs salariés. "En phase de crise économique, on peut considérer comme normal qu'aient primé l'adaptation et la compétitivité sur l'intérêt des salariés. Mais la donne est en train de changer. Certains accords vont déjà dans le sens d'une souplesse accrue pour les individus, au travers de comptes d'épargne temps, de rachat de RTT, mais cette question englobe aussi les possibilités de télétravail", soutient Alain Petitjean.
Pour ce dernier, il faudrait aller plus loin en connectant les accords de temps de travail avec des aspirations individuelles, comme le besoin de travailler moins à un moment donné pour se former, prendre un charge un proche malade, s'occuper d'un enfant. Soit dit en passant, cette évolution met aussi en question l'articulation, à l'horizon d'une carrière, de droits individuels et collectifs, un sujet esquissé par le compte personnel d'activité, le CPA, durant le quinquennat Hollande. Cette perspective pose, en outre, de multiples défis : comment mesurer cette demande sociale, comment établir une méthode pour catégoriser de façon objective ces demandes afin de les traiter en revendications syndicales en vue d'un accord, admettre que certaines de ces demandes (s'occuper d'un enfant ou d'un proche) ne concernent pas tout le monde mais servent en même temps l'intérêt général, etc. "La difficulté est qu'une disposition -le télétravail par exemple- ne sera pas perçue de la même façon par différents individus. Cela rend difficile une appréciation générale," note François Cochet, du cabinet Secafi. Les auteurs de l'étude ne dissimulent pas ces difficultés mais ils insistent sur le risque que pourrait subir un syndicat comme une entreprise qui passerait à côté d'une forte demande sociale.
Quoi qu'il en soit, il est un point sur lequel les accords sur le temps de travail gagneraient à évoluer : leur suivi via une instance précise (prévue néanmoins dans les deux tiers des textes) et surtout leur déclinaison locale, point traité seulement dans un tiers des accords.
(*) Le groupe Alpha, dont les métiers sont l'expertise auprès des CE et le conseil auprès des RH, comprend notamment les sociétés Secafi (expertise auprès des CE et CHSCT), Semaphores (conseil et accompagnement des territoires), Sodie (accompagnement des transitions), ConsultingEuropa (études et conseil aux institutions européennes), etc.
(**) ES-RDS ( Europe & société, Réalités du dialogue social) est un club de réflexion et d'échanges visant à promouvoir "un dialogue social loyal et efficient".
Les grilles d'analyse des accords utilisées par Alpha
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Commentaire : pour analyser une vingtaine d'accords sur le temps de travail, le centre d'études et prospective du groupe Alpha a mis au point une grille d'analyse qui permet d'évaluer "l'intensité" des motivations explicites de l'accord présentées souvent en préambule (grille 1, ci-dessous). Commentaire : un autre ensemble de deux grilles (voir ci-dessous) permet ensuite d'analyser "l'intensité" des points présents dans l'accord qui représentent un intérêt pour l'entreprise (1er tableau) et pour le salarié (2e tableau). Méthodologie : chaque rubrique fait l'objet d'une appréciation selon la force de l'intensité (forte = note 3; moyenne = note 2; faible = note 1; absence = note 0). Le total des notes permet l'attribution d'un score, le ratio entre les scores de la partie entreprise et de la partie salarié permettant ensuite d'apprécier l'équilibre de l'accord. |
Représentants du personnel
Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux. Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.
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